Le rôle de la distillerie agricole dans le cadre d’un tourisme culturel à la Martinique : ce point de vue exprimé par Michel FAYAD, responsable du Musée du Rhum à Sainte-Marie, est un extrait du colloque du 11 janvier 2002 sur le tourisme culturel organisé par l’ARDTM. Et il est d’une grande actualité…
Quand j’ai commencé à parler du tourisme culturel il y a de cela une dizaine d’années, il ne s’agissait pas pour moi d’anticiper sur une nouvelle mode ni sur une nouvelle tendance reconnue aujourd’hui par l’organisation mondiale du tourisme, nouvelle mode qui serait tôt ou tard amenée à être démodée…
Il s’agissait pour moi de trouver une nouvelle démarche économique et commerciale pour le tourisme martiniquais qui jusqu’ici s’est contenté de vivre sur sa rente de situation climatique en un tourisme intégré et porteur d’avenir.
Aujourd’hui tout un chacun se plait à évoquer l’échec du tourisme à la Martinique mais personne ne dit où il y a eu erreur ou carence, quelles sont les causes de cet échec et vers quelles nouvelles pistes devons-nous nous orienter.
Ce qu’il faut reconnaître c’est qu’il y a eu un long et bon chemin parcouru, mais qu’il y a un but non encore atteint et que l’objectif final de notre politique touristique n’a pas été correctement défini au préalable.
C’est sur ces quelques paramètres là que je voudrais mettre l’accent.
Depuis un certain nombre d’années, la Martinique mène une politique touristique digne de ce nom, et pourtant malgré tous les efforts qui ont été entrepris pour nous équiper en infrastructures d’accueil, c’est à dire en chambres d’hôtels, en port, en aéroport, en golf, en terminal de croisière, en palais des congrès, en casino, en formation de nos chauffeurs de taxi et de nos hôtesses, malgré notre situation climatique et géographique favorable, notre stabilité sociale et politique, notre présence remarquée dans les grands rendez-vous du tourisme international, les résultats obtenus ne sont toujours pas à la hauteur de nos espérances et malheureusement bien en-dessous de ce que nous pourrions attendre.
Force est de constater que mettre en place des infrastructures d’accueil et faire venir des touristes à grands frais n’est pas une fin en soi. Peut être faudrait il aujourd’hui se poser un certain nombre de questions élémentaires certes mais fondamentales quand même.
- Pourquoi faisons-nous du tourisme à la Martinique ?
- Pourquoi faisons-nous venir des touristes à la Martinique ?
Pour répondre à ces questions, je vous dirais, souvenez-vous, nous avons tous été touristes nous-mêmes et nous connaissons l’agréable sentiment de trouver au cours de notre voyage un produit authentique du pays visité, haut de gamme, non périssable, capable d’être offert à un ami cher ou d’être ramené comme un souvenir de voyage. Partant de ce principe, nous pouvons dire déjà que le touriste est un acheteur potentiel, il aime dépenser il aime acheter, c’est nous qui ne savons pas vendre en tout cas c’est nous qui n’avons pas grand-chose à leur vendre.
D’ailleurs j’en veux pour preuve que les quelques dépenses que fait un touriste aujourd’hui à la Martinique se résument la plupart du temps au règlement d’une chambre d’hôtel, au paiement d’une course de taxi, au prélèvement d’une taxe d’aéroport, et quand il ne s’agit pas de touristes français, ce qui est de plus en plus rare, à l’achat d’un parfum venant de France ou d’un tee-shirt imprimé Martinique.
Cela suffit-il à justifier tout le mal que l’on se donne pour faire du tourisme dans ce pays, cela suffit-il à justifier notre politique touristique martiniquaise ?
La réponse est non.
Il faut donc replacer le tourisme dans sa vraie dimension, à savoir que la finalité d’une politique touristique est d’accompagner une économie, de soutenir une production locale, et à terme de vendre les produits du terroir.
Les infrastructures d’accueil représentent un fond de commerce et sont de l’ordre de l’investissement, un fonds de commerce nécessaire, important et indispensable, mais l’essentiel dans un fonds de commerce, c’est le produit que nous avons à vendre.
Et le produit ce n’est pas la Martinique comme on le dit souvent par abus de langage, le produit c’est le Rhum de la Martinique, car lui et lui seul représente le symbole de l’histoire de notre île.
Le Rhum de la Martinique possède tous les avantages possibles et imaginables d’un produit touristique phare, et la distillerie agricole souvent oubliée comme un produit touristique et considérée naguère comme en voie de disparition semble aujourd’hui répondre à cette attente chez le visiteur avec en plus un certain nombre d’atouts considérables que je vais essayer ici d’énumérer.
- L’intérêt premier de cet instrument touristique est qu’il se confond totalement avec notre histoire, je veux dire celle des plantations et des habitations. L’histoire de la Martinique a commencé par trois siècles de monoculture de la canne, de fabrication du sucre, et de la distillation de Rhum.
- Le deuxième intérêt de la distillerie est que sa vocation première n’est justement pas touristique, mais simplement industrielle d’où son authenticité et par conséquent son attrait.
- Le troisième intérêt est que c’est une industrie de fabrication presque spécifique à la Martinique et de qualité reconnue.
- Le quatrième intérêt est qu’elle met en avant et en scène un facteur important, à savoir la dimension humaine jusqu’ici utilisée dans le secteur du tourisme à des emplois de service.
- Le cinquième intérêt est l’arrivée de ce Rhum en 1996 en Appellation d’Origine Contrôlée ce qui va accroitre, et nous le sentons déjà, le succès de la visite de la distillerie par des visiteurs de toutes provenances. L’AOC étant une garantie de qualité indiscutable et reconnue au niveau international.
- Le sixième intérêt est que la distillerie est une industrie du siècle des machines à vapeur sans grande modification depuis et que sa visite représente un voyage à travers le temps non reconstitué et donc impressionnant.
- Le septième intérêt est que la bagasse utilisée comme combustible pour alimenter les chaudières représente une avancée considérable en matière de recyclage de déchets, d’économie d’énergie et d’autonomie énergétique, tout cela apparaît comme un exemple de progrès écologique particulièrement moderne et très prisé en ce moment.
- Le huitième intérêt est qu’il s’agit d’un produit sans concurrence au niveau international. La Martinique est dépositaire de son Rhum Agricole par son AOC. Son prix ne pouvant être comparé aux autres rhums industriels fabriqués par nos voisins caribéens.
- Le neuvième intérêt est que l’achat de ce Rhum sur place sur le lieu de fabrication représente une exportation pour nos entreprises et donc accompagne et soutient une production locale et génère de nouveaux emplois de service liés à ce secteur.
- Le dixième intérêt est que la visite de nos distilleries reste un support publicitaire particulièrement efficace pour l’exportation de nos produits. Le touriste de retour chez lui pourra continuer à développer nos industries par l’achat de ce rhum dont il a vu la fabrication et dont on lui a expliqué le processus. De récentes enquêtes ont montré qu’il reste fidèle au produit pendant plusieurs années et qu’il le présente même à son entourage.
- Le onzième intérêt est que le Rhum de la Martinique a déjà sa renommée propre. Le Rhum martiniquais est aussi connu que la destination Martinique donc nous n’aurions aucun mal à le fondre littéralement dans l’image de notre île Martinique île aux fleurs Martinique terre de Rhum.
- Le douzième intérêt est qu’aujourd’hui la standardisation des modes de vie et de consommation, ajoutée au fléau de ce qu’on appelle la mal-bouffe en Europe ouvre un marché nouveau pour les produits régionaux authentiques et de qualité reconnue.
- Le treizième intérêt est que les distilleries agricoles de la Martinique sont particulièrement bien réparties sur le territoire martiniquais, il y en a partout, au Nord, au Sud, à l’Ouest, à l’Est, sur le littoral et à l’intérieur des terres, il y en a même en ville, elles ont vocation en dehors de leur activité première à savoir la fabrication de Rhum à devenir de vrais centres culturels et à terme de véritables centres touristiques et dans ce cas de figure aucune région ne serait laissée pour compte.
- Le quatorzième intérêt est que sans que nous nous en rendions compte ces distilleries sont en Martinique des régulateurs démographiques c’est-à-dire qu’elles maintiennent sur place une agriculture et un monde rural garant de nos valeurs, de nos traditions et de notre culture.
- Le quinzième intérêt est qu’autour de ces distilleries existe un arrière-pays particulièrement riche culturellement avec des petits métiers traditionnels, potiers, tonneliers, vanniers, temples indiens, pitts, petits moulins, tout cela méritant bien évidemment d’être mis en valeur.
- Le seizième intérêt que nous constatons est la revalorisation et la réhabilitation des métiers de la canne, du sucre et du rhum au travers du regard curieux et intéressé du tourisme. L’ouvrier explique son travail, son produit, son savoir-faire, une vraie discussion va s’engager, une vraie communication va naître. L’explication entre Rhum Agricole et Rhum industriel est très bien comprise par nos visiteurs qui nous encouragent même à nous battre pour la sauvegarde de notre produit ayant eux-mêmes chez eux ce type de confusion avec les cognacs et les champagnes issus du marc ou les huiles d’olive de deuxième et troisième pressions.
- Le dix-septième intérêt est qu’à l’intérieur de la distillerie nos rapports avec le touriste seront différents : la confusion souvent faite entre servir et accueillir va nous apparaître plus claire. Servir signifie qu’on exécute de façon passive. Accueillir implique qu’on a une histoire à raconter et qu’on a un produit à vendre. Le Martiniquais devient dans ce cas acteur de son propre tourisme et le paradoxe souvent décrié ente notre hospitalité légendaire et notre mauvais service à la clientèle trouve là une piste de réflexion.
- Le dix-huitième intérêt est qu’en plus d’être dépositaire de notre rhum agricole AOC issu de notre propre savoir-faire, nous nous sentons donc comptable et responsable du produit que nous avons élaboré et que nous vendons. Nous qui sommes souvent considérés comme une île de consommation, cet élément est très important pour un peuple qui cherche à affirmer sa propre identité.
- Le dix-neuvième intérêt est d’ordre sanitaire à savoir que plus nos distilleries écouleront leur production au million de visiteurs qui vient chez nous chaque année et par l’exportation que cela implique moins elles seront enclines à se recentrer sur le marché local avec tous les risques d’alcoolisme que cela pourrait engendrer.
C’est donc pour toutes ces raisons que nous pouvons dire que le Rhum en Martinique possède tous les avantages possibles et imaginables d’un produit touristique phare.
C’est un produit agricole, un produit industriel, un produit culturel et traditionnel, un produit non périssable, haut de gamme, à forte valeur ajoutée, un produit Appellation d’Origine Contrôlée. C’est un produit dont la fabrication reste pittoresque et ancestrale avec des méthodes modernes d’économie d’énergie, c’est un produit qui porte le nom de notre destination Rhum de la Martinique, c’est aussi un produit fédérateur dont les Martiniquais sont tous fiers, c’est un produit d’exportation, c’est donc le produit phare de notre économie touristique.
C’est pour cela que nous demandons que soit focalisée toute l’attention de notre politique touristique sur le Rhum de la Martinique car c’est le seul produit véritablement authentique et représentatif de notre île que nous possédons et que nous avons à vendre.
Car vendre une bouteille de Rhum à un touriste c’est faire vivre des milliers de petits planteurs, c’est donner du travail à des milliers d’ouvriers agricoles, c’est maintenir en activité des centaines d’ouvriers des différentes distilleries de l’île, c’est faire de l’exportation sans payer des frais de transport, c’est soutenir toute la filière canne et par là même maintenir une agriculture ancestrale et un monde rural garants de nos valeurs de nos traditions et de notre cultures.
Le touriste doit être ce que nous voulons qu’il soit c’est un voyageur pour les grandes compagnies aériennes et elles ont raison. Le touriste est un résident temporaire pour les grands groupes hôteliers et ils ont raison. Le touriste est un promeneur pour les chauffeurs de taxi et ils ont raison mais le touriste doit aussi être un client pour l’économie martiniquaise et nous aussi nous avons raison.
C’est pour toutes ces raisons que je dis au responsable du tourisme à la Martinique vous avez fait jusqu’ici un travail considérable d’investissements pour mettre en place ce fonds de commerce que sont ces infrastructures d’accueil, donnez aujourd’hui simplement la finalité qui manque à vos actions. Soutenez la filière canne. Aidez le Rhum de la Martinique. Aidez-nous.