Peu de gens le savent : la lutte contre la maladie grave qu’est la cercosporiose noire du bananier est rendue obligatoire et de façon permanente sur les territoires de la Guadeloupe et de la Martinique par arrêté ministériel du 31 juillet 2000. Des arrêtés préfectoraux doivent organiser localement cette lutte.
Et contrairement à certaines idées reçues – et malheureusement encore trop répandues – la chlordécone n’a jamais été appliquée par voie aérienne ! Elle n’est d’ailleurs plus utilisée en Martinique depuis 20 ans…
Alors que vient de se tenir l’audience du tribunal administratif portant sur les deux précédents arrêtés préfectoraux autorisant l’épandage aérien de pesticides sur les bananeraies, le quotidien France-Antilles revient aux bases de la problématique et de la polémique, en 10 questions :
1 Qu’est-ce que la cercosporiose noire ?
La cercosporiose noire, présente dans le monde entier, a été détectée pour la première fois en septembre 2010 en Martinique. C’est un champignon qui s’attaque à tous les bananiers (y compris la banane jaune). Il nécrose les feuilles et entraîne une maturation avancée des fruits qui deviennent non commercialisables. Auparavant, seule la cercosporiose jaune, bien moins virulente, était présente et combattue.
2 Que dit la loi sur l’épandage aérien ?
La directive-cadre européenne sur l’utilisation des pesticides de 2009 a posé le principe de l’interdiction de l’épandage de pesticides par voie aérienne, avec dérogations possibles sous conditions. Elle a été déclinée en droit français dans le Grenelle II (2010) puis dans l’arrêté du 31 mai 2011.
3 Qui a porté plainte et contre qui ?
Deux associations ont porté plainte au tribunal administratif (donc contre l’État) contre les deux précédents arrêtés préfectoraux délivrés le 10 août 2012 et le 26 février 2013 : l’Assaupamar et l’Amses (présidée par le Dr Jos-Pelage).
Les deux affaires ont été jugées en référé (c’est-à-dire en urgence). En octobre 2012, la décision du tribunal a entraîné la suspension de l’utilisation de l’huile Banole, mais l’épandage aérien pouvait continuer sans huile. En août 2013, une nouvelle décision a entraîné la suspension totale de l’épandage. Il manquait une décision du tribunal sur le fond des dossiers.
4 L’audience du 28 novembre est-elle utile ?
Dans les faits, pas vraiment, car une troisième dérogation (sans Banole) a été accordée par le préfet en février 2013 sans attendre le jugement sur le fond concernant la deuxième. Idem pour la quatrième dérogation, accordée le 18 novembre dernier pour quatre mois. Cette dérogation abroge dans son premier article la précédente.
Concernant ce nouvel arrêté préfectoral, l’État explique avoir pris en compte les remarques du juge dans ses écrits : « Le tribunal administratif reprochait le caractère trop systématique du précédent arrêté. Désormais, l’épandage aérien est conditionné à la semaine et à la parcelle par une autorisation du préfet. » Les associations plaignantes dénoncent, par ce procédé, « un mépris de l’État pour ses propres institutions ».
5 Quels sont les produits utilisés en épandage aérien ?
Les produits utilisés sont des fongicides (qui combattent les champignons). Huit produits sont actuellement homologués. La quantité pouvant être utilisée à l’hectare est limitée, comme pour tous les pesticides. Rappelons que les débats, en tout cas ceux qui ont lieu dans l’enceinte du tribunal, ne portent pas sur la nature de ces produits, mais sur la façon de les épandre.
En traitement terrestre, il faut ajouter la possibilité d’utiliser l’huile paraffinique Banole.
6 Toutes les bananeraies peuvent-elles être traitées par épandage aérien ?
Non, il faut qu’un certain nombre de conditions soient réunies, concernant notamment la proximité des habitations et des rivières (voir liste des quartiers concernés par l’épandage aérien dans l’édition France-Antilles du 21 novembre).
7 Quels sont les arguments en faveur / en défaveur de l’épandage aérien ?
Selon les services de l’État et les producteurs, la lutte contre la maladie par épandage aérien serait collective et efficace : les hélicoptères procèdent par zone, les quantités de pesticides sont maîtrisées. Ces dernières années, les technologies employées par les hélicoptères ont été modifiées : installation de buses anti-dérives, réduction de la taille des rampes de pulvérisations, coupures automatiques de la pulvérisation dans les zones interdites et traçabilité des épandages. Cette dernière mesure permet aux services de l’État de contrôler la trajectoire des hélicoptères après-coup, en cas de plainte par exemple.
Selon les associations ayant porté plainte, malgré les buses anti-dérives et les préconisations en matière de vent, les produits ne peuvent absolument pas être maîtrisés en l’air et il y aura toujours des retombées sur une petite île densément peuplée.
Elles expliquent aussi que la « situation sanitaire de la Martinique, notamment le nombre important de cancers, ainsi que la situation environnementale, avec les pollutions à la chlordécone et autres, ne permettent pas que l’épandage aérien continue. »
Les associations ajoutent être contre l’utilisation des pesticides dans son ensemble, l’épandage aérien n’étant qu’une des ramifications du débat.
8 Qu’en est-il des alternatives terrestres à l’épandage aérien ?
Les essais continuent : les organismes de recherche Irstea et Cirad travaillent depuis 2008 sur différents tracteurs équipés de canons de pulvérisation modifiés. Ces alternatives ne sont pas au point. Selon les organismes de recherche, les planteurs et l’Etat, la dose épandue est plus importante en traitement terrestre (canon ou traitement à dos) que par hélicoptère. Par ailleurs, le traitement à dos est, en l’état actuel, très pénible pour l’applicateur.
À moyen terme, les planteurs cherchent à mettre au point une variété de banane résistante aux cercosporioses.
9 Quelles sont les pertes dues à la cercosporiose ?
Elles ne sont pas chiffrées par les planteurs. Certains petits planteurs évoquent jusqu’à 30% de pertes. Mais ces pertes dépendent largement de la parcelle (deux parcelles côte à côte peuvent ne pas être touchées de la même manière), de la lutte engagée, de la fréquence des traitements, du bon usage de l’effeuillage, etc. La cercosporiose noire a la caractéristique de s’aggraver d’année en année : d’abord parce qu’elle remplace petit à petit la jaune, ensuite parce que les rejets sont plus sensibles que le pied-mère.
Les associations, de leur côté, émettent un doute sérieux sur l’impact réel de la cercosporiose. Elles affirment « ne pas avoir vu de différence dans les bananeraies ces derniers mois. »
10 L’effeuillage des bananiers n’est-il pas suffisant ?
Les planteurs affirment que l’effeuillage des feuilles de bananier n’est pas suffisant pour lutter contre la maladie. Selon l’arrêté préfectoral du 18 novembre : « l’effeuillage est un procédé qui permet de réduire la pression de la maladie en éliminant les feuilles nécrosées émettrices de spores en grande quantité, préservant ainsi en partie les feuilles et plants voisins non encore infestés, mais qui ne soigne pas le plant infesté, n’empêche pas de nouvelles infestations et ne permet donc pas une suppression de la lutte par des produits phytopharmaceutiques ».