A la veille de l’ouverture des Ateliers du Rhum qui se tiennent les 17 et 18 novembre 2016 au Château de la Favorite, il nous semble opportun de publier le discours que Claudine NEISSON-VERNANT a prononcé le soir de la cérémonie des 20 ans de l’AOC :
Monsieur le Président du Conseil Exécutif de la Collectivité de Martinique
Monsieur le Président de l’Assemblée de Martinique,
Messieurs les Parlementaires européen et nationaux
Monsieur le représentant du Préfet,
Mesdames et Messieurs les Conseillers exécutifs,
Mesdames et Messieurs en vos grades, fonctions et qualités, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
5 ans, 10 ans, 20 ans, pour tous les beaux anniversaires de notre rhum AOC Martinique, nous avons eu le privilège d’être reçus dans ce lieu magique qu’est la maison de la Canne, notre mère à tous, et nous en sommes sincèrement reconnaissants.
Si quand on aime, on a toujours 20 ans, alors cet anniversaire que nous célébrons aujourd’hui, j’aurais pu le fêter chaque jour durant lequel j’ai été une part de ce syndicat de défense de l’appellation Rhum Agricole Martinique. Avec vous, j’ai chaque jour eu 20 ans car, chaque jour, j’ai aimé œuvrer en symbiose avec vous, canniers, rhumiers, négociants- éleveurs, CTCS, pour développer les atouts de notre Rhum Martinique, premier et unique rhum AOC au monde, affirmer son lien au terroir, protéger sa spécificité, asseoir son caractère patrimonial et accompagner son développement.
Pendant ces vingt années, j’ai éprouvé une immense fierté à faire partie de ce syndicat, qui a su, avant tout le monde, percevoir la formidable richesse dont nous disposions et l’excellence dont nous étions les plus authentiques représentants. Malgré les multiples sensibilités qui nous composent et les innombrables courants qui nous agitent, nous avons su porter un projet commun, nous avons su fédérer les canniers en une SICA présidée par Justin Céraline, nous avons su démontrer que nos différences, loin de constituer un handicap, sont en réalité la source même de notre richesse et le moteur de notre réussite.
En cela nous avons affirmé notre loyauté envers les rhumiers – pionniers de cette démarche AOC qui se sont âprement battus plus de 22 ans, avec comme capitaine Jean-Pierre Bourdillon (de son vivant PDG des Rhums La Mauny), soutenu par Jean-Claude Benoît (directeur général des Rhums Saint James), Jean Bally, André Depaz, Yves Bernus, Yves Chêne (Rhums Trois Rivières), Jean Neisson et bien d’autres pour obtenir la signature du décret du 5 novembre 1996.
Nous avons su dans notre diversité féconde en cette année du 20eme anniversaire, présenter le 1er rhum AOC bio au monde, tout comme le rhum le plus précieux du monde dans un flacon d’exception couronné d’une œuvre d’art d’un maître joailler.
Nous sommes caribéens, caribéens nous sommes, mais nous avons également su faire la preuve qu’au-delà des mers, nous sommes bien une part essentielle du tissu économique européen, que nous ne sommes pas la charge à laquelle certains voudraient parfois nous résumer, mais, au contraire, une force et une chance pour l’Europe. Ne nous voilons cependant pas la face, cette œuvre, aujourd’hui, comme chaque jour pendant lequel nous y avons travaillé, est menacée et ces menaces, elles ont pris de l’importance au fur et à mesure que nous avons grandi et que nos réussites ont fait naître de l’inquiétude ou de la jalousie chez ceux qui voyaient le succès couronner nos efforts.
Il y a cinq ans, je vous disais, pour l’anniversaire de nos quinze années d’existence, que nous étions, comme un adolescent à l’heure des choix. Ces choix, nous avons su commencer à les faire et, notamment, nous avons su porter le drapeau de notre excellence, attirer des visiteurs de plus en plus nombreux dans nos distilleries, traçant ainsi les contours du spiritourisme cher à Charles Larcher, Président du Coderum, et partir à la conquête du monde avec nos 11 marques (Bally, Clément, Depaz, Dillon, HSE, J.M, La Favorite, La Mauny, Neisson, Saint James, Trois Rivières).
Mais cette démarche, elle est encore insuffisante, elle doit être renforcée afin que nous devenions profondément incontournables. Il en va de notre pérennité.
Est-ce que, par nature, nos institutions martiniquaises, nationales ou internationales qui nous aident à porter le projet qui est le nôtre, se croient obligées de nous financer ? Croyez-vous que, si on nous oublie, on continuera quand même à nous aider ? Et sans protection, sans aide fondée sur la nécessité de protéger notre savoir faire, dont chacun reconnaîtra l’excellence, que deviendrons-nous face à la concurrence des pays émergents ? Que deviendrons-nous si se réduisent les aides européennes ou nationales à la production d’outremer ? Que deviendrons-nous si notre Collectivité Territoriale de Martinique, nos sénateurs, nos députés ne poursuivent et n’accentuent pas encore leur soutien, soutien pour lequel nous réitérons notre reconnaissance ? Que deviendrons-nous face au décontingentement ? Menace contre laquelle se bat Nathalie Guillier-Tual (Présidente de BBS La Mauny Trois Rivières, notre déléguée Martinique du CIRT DOM). Que deviendrons nous, si nous ne continuons à faire savoir notre savoir-faire, à communiquer autour de notre spécificité, face à l’offensive de ceux qui voudraient bénéficier des avantages que l’AOC a durement conquis, mais sans avoir à supporter aucune des contraintes qui pèsent sur nous et qui garantissent l’intégrité de nos produits ? Que deviendrons nous si nous ne martelons pas sans relâche notre différence et notre authenticité face à ceux qui voudraient laisser croire qu’entre leurs produits et les nôtres, il n’y a qu’une différence de degré et non de nature profonde ?
Nous serons balayés. Nous serons balayés car notre survie passe par l’affirmation de notre spécificité, c’est à dire par la définition et la défense de priorités, qu’elles soient martiniquaises, nationales ou internationales.
Nous devons nous rendre encore davantage visibles, rendre notre sort essentiel, faire reconnaître les solutions que nous apportons et, pour cela, nous devons continuer d’affirmer la légitime fierté que nous éprouvons. Nous devons continuer de nous appuyer sur cette fierté pour diffuser nos savoirs, nos apports, nos compétences, les progrès que nous réalisons dans tous les domaines, et notamment dans le domaine environnemental.
Nous devons continuer de faire inlassablement savoir au public et aux pouvoirs politiques que le Rhum et la Canne, bien davantage que de simples produits, sont les marqueurs de notre relation à l’Histoire et à la Terre.
Nous devons continuer à dessiner pour le plus grand nombre cette carte intime que nous portons, chacun de nous, gravée dans nos cœurs, et qui montre un chemin dont, si on le suit, on ne retire que des bienfaits.
Nous devons continuer de démontrer qu’il n’appartient qu’à nous, par notre travail, notre foi et notre détermination, de transformer la canne, dont l’on a pu dire qu’elle était maudite en une chance, voire une bénédiction pour la Martinique, et ainsi donner la preuve éclatante de notre capacité de résilience, par cette magnification en Rhum AOC Martinique.
Mais, si je conçois, encore et toujours, quelques inquiétudes, de celles qui ne disparaissent jamais et qui sont celles que les parents peuvent éprouver pour leurs enfants aujourd’hui, comme depuis que je me suis lancée avec vous dans cette aventure, le sentiment qui prédomine, c’est encore et toujours l’espoir.
Un espoir fondé sur le fait que tout démontre que nous ne fondons pas notre réputation vertueuse sur autre chose que des faits, que nous ne pensons pas que le marketing et l’argent peuvent supplanter l’honnêteté et le travail bien fait. Un espoir fondé sur le fait que grâce à la Canne, nous payons – contrairement à d’autres – chaque année notre dette écologique et que, en cela, nous sommes les précurseurs d’un type d’activité dont chacun, demain, se demandera pourquoi l’on a attendu si longtemps avant d’en faire un modèle contraignant.
Mais aussi un espoir fondé sur le fait que notre activité nous permet tout aussi bien de transcender la douleur d’un passé sans lequel nous ne serions rien que de préparer un futur dont, parce que nous œuvrons avec la nature et non pas contre elle, nous sommes les meilleurs artisans. Un espoir, en résumé, fondé sur cette position particulière que nous occupons, à la lisière de la nature, de l’Histoire, de la politique et des relations internationales, cette position si exposée mais, en même temps, qui offre tant d’opportunités.
Un espoir qui emporte finalement les inquiétudes présentes et me rend l’optimisme que, parfois, face aux épreuves et aux difficultés, nous avons pu sentir décliner.
Parce que, quand on aime, on a toujours 20 ans et, que cet amour, il est le ferment des bonheurs et des réussites à venir… Demain, je passerai le relais que j’ai porté avec tant de fierté pendant toutes ces années. Je sais que celui ou celle qui le prendra s’attachera à le porter le plus loin, le plus haut possible et je sais qu’à voir faire, j’éprouverai la même fierté que celle qui m’anime aujourd’hui. Je sais que, grâce à vous, même quand je ne serai plus Président, j’aurai toujours 20 ans l’âge ou on est invincible et où les vœux les plus fous ne peuvent que se réaliser.
Président Alfred Marie-Jeanne, permettez-moi de m’adresser ici directement à vous, qui nous avez toujours soutenus sans faille. J’ai plusieurs vœux à vous formuler :
- celui de donner à notre CTCS les moyens matériels et humains de créer et produire une variété de canne Martinique.
- celui de faire inscrire notre punch Martinique au patrimoine gastronomique de l’humanité,
- celui de donner à la cérémonie du ti-punch de Martinique la même aura internationale que la cérémonie du thé du Japon.
Je vous remercie tous et toutes du fond du cœur.